Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/512

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Le reste de sa vie, on le connaît. Ses vingt ans d’exil sont écrits dans ses œuvres. Ce qu’il fut pendant le siège de Paris, ce qu’il fut au plateau d’Avron, comme commandant de l’artillerie, ce qu’il fut après le 18 Mars, comme aide de camp de l’amiral Saisset, ce qu’il fut pendant la Commune, comme prisonnier de Raoul Rigault, ce qu’il a été depuis seize ans au Parlement, qu’on le demande à ses amis, à ses compagnons de danger, à ses collègues. Sa position au Sénat a quelque chose de tout personnel. Il y a conquis, un à un, tous les degrés de la sympathie. Il y est considéré, estimé, honoré, aimé. L’affection qu’il inspire à ses collègues s’étend jusqu’à ses singularités. Elles plaisent, elles amusent. On en rit avec lui. Jamais Schœlcher n’a juré. Jamais Schœlcher n’ employé une expression triviale, un mot vulgaire. Il parle comme il mange. Il a toujours peur de se salir le bout des lèvres comme le bout des doigts. Ses amis du Sénat s’en égayent parfois, et lancent dans la conversation, des termes et des plaisanteries plus ou moins orthodoxes, pour faire sursauter Schœlcher, et le voir prendre ses airs d’hermine effarouchée. Gambetta, de l’Assemblée nationale, ne s’en faisait pas faute, et un jour, il lui en dit une si forte, que Schœlcher, levant les bras avec indignation, s’en alla en s’écriant : « C’est affreux ! Gambetta, c’est affreux ! » Et l’autre de rire aux éclats.

Ses excès de délicatesse ne font pas seulement sourire, ils touchent souvent. J’ai conté à un sénateur un trait de lui qui a fait le tour du Sénat. Dans sa jeunesse, il revenait un jour de Belgique avec sa mère. La