Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/513

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vieille dame avait acheté de fort belles dentelles à Malines. Arrivés à la frontière, Schœlcher lui dit : « N’oubliez pas, ma mère, de déclarer vos dentelles à la douane. ― Par exemple ! il me faudrait payer des droits énormes. ― Mais ces droits, vous les devez. ― Je les dois, à qui ? Pourquoi ? ― Parce qu’il y a, ma mère, une loi sur l’importation qui frappe d’un impôt… ― Est-ce que c’est moi qui l’ai faite, cette loi ? Est-ce qu’on m’a demandé mon avis pour la faire ? Je la trouve absurde, inique, oppressive ; et je ne comprends pas, qu’un libéral comme vous, approuve une pareille loi. Je m’y soustrais.― Mais c’est de la contrebande, ma mère, et la contrebande est une fraude. ― Assez ! répond-elle, vous n’avez pas, j’imagine, la prétention de m’apprendre ce que j’ai à faire. » Il se tut, mais quand, à l’inspection des bagages, le douanier lui demanda s’il avait quelque chose à déclarer, « Oui, Monsieur, répondit-il avec calme. Madame a des dentelles qui doivent, je crois, payer entrée. » La stupéfaction et la colère de sa mère, on les comprend. Pourtant, il lui fallut céder. A mesure qu’elle déroulait ses bandes de malines, et tout en payant les droits, elle lui lançait des regards irrités, et de sourdes paroles de reproche, qui se changèrent bientôt, dans son cœur maternel, en murmures d’orgueil. Quelle est la femme qui ne serait pas fière d’avoir pour fils, un si honnête homme ?

De tels caractères comptent dans une assemblée. Un jour cependant, une parole, sortie de sa bouche, rencontra une vive désapprobation au Sénat. Dans une discussion dont je ne me rappelle pas nettement