Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/521

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violons. Un jour, une jeune duchesse… (la mode était aux matinées du marquis de Prault, tout le beau monde était enchanté d’avoir l’air d’aimer la musique sérieuse), une jeune duchesse donc, tout étincelante d’élégance et de beauté, arrive, au milieu d’un morceau, et après avoir fait son petit fracas, s’asseoit et engage tout bas quelques menus bavardages avec sa voisine. Urhan frappe sur son pupitre un petit coup sec, arrête net le quatuor, met son archet sous son bras, regarde en l’air en attendant que le bruit ait cessé, et une fois le silence rétabli, recommence gravement le morceau da capo. Je vous réponds qu’après ce jour-là, personne n’a plus fait de bruit aux matinées du marquis de Prault. La séance finie, j’allai le féliciter de son attitude : « Jamais, me répondit-il avec calme, je ne souffrirai qu’on manque de respect, devant moi, à un chef-d’œuvre. » Ce n’était pas pour lui qu’il avait été froissé, c’était pour Beethoven.

Urhan était un virtuose de second ordre. On comptait à Paris dix violons plus habiles que lui, mais il rachetait cette infériorité relative d’exécution, par une qualité aussi rare que précieuse : il avait du style. Le style tenait chez Urhan à sa connaissance profonde de tous les maîtres, comme à son religieux et inflexible respect pour leurs œuvres. Il ne permettait pas plus d’en altérer le caractère en les exécutant, que de faire du bruit en les écoutant. Habeneck lui-même eut plus d’une fois maille à partir avec lui à ce sujet. Dans l’organisation des concerts du Conservatoire, dont il fut un des premiers et des plus utiles auxiliaires, si Habeneck voulait