Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/522

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opérer quelques coupures, ou supprimer quelques instruments dans une symphonie, Urhan protestait, résistait, et un jour une partie de contrebasses ayant été mise de côté, dans la Symphonie avec chœurs, Urhan signala cette impiété dans un article, et signa l’article.

Il avait une autre qualité plus personnelle encore. En général, les adorateurs du passé sont dédaigneux du présent. Leur admiration pour les vieux maîtres se complique de mépris pour les nouveaux. Leur culte est un culte jaloux, étroit, exclusif. Ils se construisent une sorte de petit Olympe, d’où ils ne sortent pas et où ils ne permettent pas d’entrer. Chez Urhan, l’amour des maîtres d’autrefois n’avait d’égal que la passion pour les maîtres d’aujourd’hui et même de demain. C’était un dépisteur. Il y mettait une ardeur d’apôtre. C’est à lui que nous devons l’apparition de Schubert en France. Schubert est quelque peu oublié aujourd’hui ; il n’en a pas moins fait une révolution musicale parmi nous. Il nous a montré qu’on pouvait écrire des chefs-d’œuvre d’une page. On pourrait l’appeler, à un certain point de vue, le La Fontaine de la musique ; il a fait tenir autant de pensée dans quelques mesures que La Fontaine dans quelques vers. Avant Schubert, les grands compositeurs dramatiques, Mozart, Glück, Rossini, Auber, Hérold, Halévy, dédaignaient les courtes compositions qu’ils abandonnaient aux faiseurs de romances. Schubert a tué la romance et créé la mélodie, où, depuis lui, Réber, Gounod, Massenet, Delibes,