Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/554

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redevint tout à coup imminent. Le froid gagna les genoux. Il arriva à huit heures du soir et resta un quart d’heure près du lit, comme un homme en proie à une grande anxiété. Enfin, après avoir consulté avec sa femme qui l’accompagnait toujours, il nous donna un médicament en nous disant : « Faites-lui prendre cela, et remarquez bien si, d’ici à une heure, le pouls remonte. » A onze heures, je lui tenais le bras, quand soudain il me sembla sentir une légère modification dans le battement ; j’appelai ma femme, j’appelai Goubaux, Schœlcher. Et nous voilà tâtant le bras l’un après l’autre, interrogeant la montre, comptant les pulsations, n’osant pas affirmer, n’osant pas nous réjouir, jusqu’à ce qu’au bout de quelques minutes, nous nous embrassâmes tous les quatre ; le pouls avait remonté. Vers minuit, entra dans la chambre Chrétien Uhran. Il vint vers moi, et avec un ton de profonde conviction, il me dit : « Mon cher monsieur Legouvé, votre fille est sauvée. ― Elle va un peu mieux, lui répondis-je tout troublé, mais de là à la guérison… ― Je vous dis qu’elle est sauvée ; » puis, s’approchant du berceau, où je veillais seul, il baisa l’enfant sur le front et partit.

Huit jours après, la malade entrait en convalescence. Cette guérison fut un événement dans Paris, presque une sorte de scandale ! Mon nom n’était pas celui d’un inconnu ; on cria au miracle, à la résurrection ! Tout le corps médical entra dans une irritation violente ; le pauvre Dr R. fut pris à partie par tous ses confrères ; les discussions les plus vives éclatèrent dans le monde et à la faculté. Un médecin dit tout haut dans le salon