Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/570

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dessus, nous lançant au triple galop sur les pentes du mamelon, les escaladant avec nous, il nous initiait à toutes les péripéties de l’attaque d’une redoute. Enfin, lorsqu’en 1823 éclata la guerre d’Espagne, il n’y tint plus. Ce bruit de canon, se réveillant tout à coup en Europe, lui fit perdre la tête, et lui, le vainqueur de Capri, l’exilé de 1815, il écrivit au ministre de la guerre pour lui demander du service, et ajouta cette dernière phrase : « Mon ambition est de mourir enveloppé dans les plis du drapeau blanc ! » Ce qui lui fut le plus cruel, c’est que le ministre eut plus de soin de sa réputation que lui-même, il ne lui permit pas son infidélité, on refusa son épée. Ne l’accusez pas trop. La passion de la guerre est une passion aussi puissante que l’amour et le jeu. N’en avons-nous pas vu un exemple saisissant pendant la guerre d’Italie ? Le général Changarnier, réfugié à Anvers, passait, dit-on, ses journées à suivre fiévreusement sur la carte, la marche de nos troupes à Magenta, et à Solférino, et quand éclata la guerre de 1870, lui, non plus, il ne put pas y tenir. Il oublia, non seulement le mal que lui avait fait l’empereur, mais le mal que lui-même il en avait dit, et il écrivit à celui dont il avait parlé avec tant de mépris et de moquerie, en le suppliant, à peu près dans les mêmes termes que Philoctète dans Sophocle, de l’employer n’importe où, n’importe comment, sans grade, sans honoraires, sans poste fixe ; il ne demandait qu’à entrendre encore le canon. C’est cette passion, avec tous ses désespoirs, toutes ses rages, et aboutissant enfin à la défection, que j’avais