Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/569

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le général Lamarque. Au nom du général Lamarque se rattachait sous l’Empire le souvenir d’un fait de guerre exceptionnel : l’aventureuse et héroïque prise de Capri.

Le général était né à Saint-Sever, et y demeurait en 1829. Riche, considéré, spirituel, instruit, il s’y dévorait d’ennui et de rage. Exilé par la Restauration de 1815, rappelé en France vers 1818, mais destitué de tous ses emplois militaires, rayé des cadres de l’armée, il était venu s’enfouir dans sa petite ville. Son épée brisée le mettait au désespoir. Rien ne pouvait le consoler de ne plus être soldat. Pour tromper sa douleur, il imagina de se faire construire une sorte de palais. Cela l’occupa un an. La maison bâtie, il se jeta dans une traduction d’Ossian, une traduction en vers. Cela lui prit encore un an. La traduction achevée, il voulut se donner la passion des fleurs, et il rapportait de Paris, où il allait passer quelques mois d’hiver, des collections de géraniums, de rosiers, de pivoines ; mais il avait beau bâtir, rimer, greffer, et construire des palais, tous ces vains amusements de son chagrin ne faisaient que l’aigrir par leur inanité, et il retombait dans son trou, avec le sentiment de plus en plus amer de son inaction. Telle était l’intensité de sa passion, qu’en se promenant à cheval dans les environs de Saint-Sever, avec son neveu et moi, il s’arrêta plus d’une fois pour nous dire tout à coup : « Voyons, jeunes gens ! Vous apercevez là-bas ce mamelon. Eh bien, supposez qu’il soit couvert de batteries, occupé par les Prussiens, comment vous y prendriez-vous pour l’enlever ? » Et là-