Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/578

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quand ils seront achevés, à Séricourt. » Je les lui portai, et je les lui lus. Tout le temps que dura la lecture du premier acte, il se grattait la tête, et l’acte fini… « Ça n’y est pas du tout ! me dit-il. Voyons le second acte. » A la quatrième page, le voilà qui se met à parler tout bas… « Bravo ! Excellent ! » Et il rit ! Et il pleure ! Et il applaudit !… ajoutant : « Oh ! je vous réponds de l’effet ! Diable ! je n’ai pas souvent des collaborateurs pareils !… Je ne trouve qu’une chose à reprendre dans ce second acte, c’est le récit d’entrée d’Adrienne… ― Ah ! lui dis-je en riant, vous tombez mal. Il est vrai, ce récit. Je l’ai tiré presque textuellement des mémoires de Mlle Clairon. ― Précisément, il est manqué parce qu’il est vrai. Entendez-moi bien. La vérité est indispensable au théâtre, mais il faut qu’elle soit mise au point, à l’optique. Le récit de Mlle Clairon vous a frappé justement ; il doit produire beaucoup d’effet dans ses mémoires, pourquoi ? parce qu’il vous met devant les yeux une personne réelle, un fait arrivé, et que l’actrice communique pour ainsi dire sa vie à son récit. C’est à elle que vous vous intéressez en vous intéressant à ce qu’elle dit. Mais au théâtre, nous sommes dans la fiction et la fiction a ses lois. Nous parlons, non à un seul lecteur, mais à quinze cents personnes, et le nombre des auditeurs, la grandeur de la salle, changent les conditions morales de l’effet, comme l’optique et l’acoustique en modifient les conditions matérielles. A la place de ce récit vrai, je vais vous en mettre un, absolument inventé pour Adrienne, approprié à Adrienne, et qui enlève le public. » Ainsi fut fait, et le 6 octobre