Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/580

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d’invention que d’imagination. Notre époque nous en offre deux exemples frappants. Balzac est un grand inventeur. Il trouve des caractères, de beaux points de départ, mais son exécution est souvent lourde, faute d’imagination ; il n’a pas cette fertilité d’incidents, cette vivacité de dialogue, qui rendent amusante une œuvre forte. La déesse ailée n’a pas passé par là. Voyez, au contraire, Alexandre Dumas. Les points de départ de ses sujets ne lui appartiennent pas toujours. Tantôt il les prend dans l’histoire, tantôt il les reçoit de ses collaborateurs, tantôt il les emprunte à d’autres ouvrages. Lui-même, dans ses mémoires si pleins de bonhomie et de bonne humeur, il convient qu’Antony lui a été inspiré par Marion Delorme. Pour créer, il lui fallait souvent cette petite première chiquenaude, dont je ne sais quel philosophe avait besoin pour mettre le monde en branle. Seulement, une fois cette impulsion reçue, comme A. Dumas faisait rouler la machine ! Quelle voiture lancée sur une pente, au triple galop de quatre généreuses montures, vole, traverse l’espace avec plus de légèreté, plus de rapidité, plus de mépris des obstacles et des distances, qu’un roman ou un drame d’Alexandre Dumas ? Même quand ses chevaux ne sont pas à lui, il les rend siens par la façon dont il les gouverne. On lui donne des chevaux de fiacre, il en fait des chevaux de sang.

Chez Scribe, l’imagination et l’invention étaient d’égale valeur, et de grande valeur. On l’a souvent relégué dédaigneusement parmi les arrangeurs. En réalité, aucune littérature n’a produit un aussi puissant