Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/583

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un ballet, dont je ne me rappelle plus l’auteur, la Révolte au sérail. Mlle Taglioni remplissait le principal rôle. L’avant-veille de la première représentation, la pièce étant déjà affichée et annoncée pour le lendemain, avec le mot sacramental : Irrévocablement ! le directeur entre chez Scribe à neuf heures du matin : « Je suis désespéré, lui dit-il, je suis perdu, et il n’y a que vous qui puissiez me sauver. ― Comment ? ― Mon ballet est impossible ! ― Pourquoi ? ― Tout le succès repose sur la situation du second acte ; et voici cette situation : Mlle Taglioni, enfermée, assiégée dans le palais par les révoltés, enrégimente toutes les femmes du harem, les arme, les exerce au maniement du fusil et du sabre, en fait des soldats dont elle se fait le général, et repousse l’assaut. ― L’idée est fort originale, répond Scribe. ― Oui ! mais nous nous sommes aperçu, hier, à la répétition générale, qu’elle est absurde. ― Pourquoi ? ― Parce qu’au premier acte, Mlle Taglioni a reçu, de la main d’un magicien, un talisman. Elle n’a donc pas besoin d’autre arme que de ce talisman : qu’elle le montre, et tous ses eunuques s’enfuient ! ― C’est juste et c’est grave, répond Scribe. ― Aussi je compte sur vous. ― Eh bien ! j’irai voir votre répétition aujourd’hui, et je chercherai après. ― Du tout ! du tout ! Ce n’est pas après, c’est tout de suite. Il est inutile que vous veniez à la répétition générale ; il n’y aura plus de répétition générale ; il faut que, sans rien changer à la pièce (je n’ai pas le temps d’y faire de changements), sans la reculer d’un jour (chaque jour de retard me coûte dix mille francs), il faut que vous me trouviez