Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/584

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aujourd’hui même, d’ici à ce soir, un moyen qui me permette de jouer après-demain. ― Soit. Laissez-moi, reprit Scribe ; je vais chercher. » Le directeur sort, descend les vingt marches de l’étage de Scribe, et, arrivé en bas, au moment où il disait : « Cordon, s’il vous plaît ! » il entend une voix qui lui crie : « Véron, remontez ! j’ai votre affaire ! » M. Véron remonta plus vite qu’il n’était descendu. « Vous avez mon affaire ? ― Oui. Quel était le talisman de Mlle Taglioni ? ― Une bague. ― Vous en ferez une rose. Quel était son amoureux ? ― Un petit esclave du sérail. ― Vous en ferez un petit berger. En quoi consiste le divertissement du premier acte ? ― En une danse devant le sultan, dans les jardins du palais. ― Parfait ! Après la danse, vous ferez asseoir Mlle Taglioni sur un tertre de gazon ; elle s’y endormira ; le petit berger avancera tout doucement près d’elle, lui enlèvera sa rose ; et quand, au second acte, elle voudra tirer son talisman de son sein, elle ne l’aura plus. Ce n’est pas plus difficile que cela. ― J’étais bien sûr que vous me sauveriez !… » s’écria M. Véron. Et il s’élance sur l’escalier, qu’il redescend encore plus vite qu’il ne l’avait remonté. Un quart d’heure après, Scribe recevait une lettre qui contenait deux billets de banque, avec ces mots : « Ce n’est pas un payement, ce n’est qu’une marque de reconnaissance ! » ― « Voilà la seule fois, disait-il en riant, où j’aie gagné deux mille francs en deux minutes ! »

Mais voici un fait où éclate plus vivement encore cette faculté de transformation qui tenait chez lui du prodige. Un de ses confrères vient le consulter sur un