Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/592

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On prétend, qu’après une représentation du Mariage d’inclination, une jeune fille se jeta dans les bras de sa mère, en lui avouant qu’elle était sur le point de se laisser enlever. Après une pièce l’Alexandre Dumas père, elle se serait jetée dans les bras de son amant, en lui disant : Enlève-moi !

Les comédies de Scribe représentent encore la bourgeoisie par les sentiments patriotiques qui les remplissent. Ses guerriers et ses lauriers, ses vieux grognards, ses colonels, ont fait sourire depuis ; nous, ils nous faisaient pleurer : car nous étions au lendemain de l’invasion ; nos blessures étaient encore saignantes ; chacun de ces couplets de vaudeville était pour nous une consolation et comme une sorte de revanche ; ou je me trompe fort, ou nous ne nous en moquerions plus aujourd’hui.

Enfin Scribe était tout à la fois conservateur et frondeur, soutenant le trône et se moquant de la Chambre, célébrant le roi et chansonnant les ministres, impitoyable surtout pour ces palinodies que les intéressés veulent nous donner pour des conversions. Je me rappelle, à ce sujet, un trait fort caractéristique : c’était au commencement du second Empire, vers 1854. Scribe rencontre dans le monde un assez important personnage, que nous appellerons M. de Verteuil, et qui avait été son camarade de collège : « Que fais-tu ? lui dit son ami ; as-tu quelque comédie sur le chantier ? ― Oui, répond Scribe, je tiens, je crois, un charmant sujet : je voudrais mettre en scène un pair de France sous Louis-Philippe, devenant sénateur sous Napoléon III. T’imagines-tu quelle source de traits comiques dans les