Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/613

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X

Alors commencèrent les plus heureux jours de cette heureuse vie. Il était en pleine gloire, il entre en pleine joie. « Mon cher ami, me disait-il souvent, je n’avais connu que le plaisir, je connais le bonheur. » Sa femme était jeune encore, trente ans à peine, jolie, gaie, femme de cœur et femme de tête. Béranger, qui la connaissait, et dont elle chantait très bien les chansons, disait d’elle : « Elle serait de force à gouverner un empire ». Douze ans s’écoulèrent ainsi, sans une ombre sur ce tableau, sans un nuage dans ce ciel. A cette époque, un matin où je lui rappelais la succession inouïe de triomphes et de joies dont sa vie était faite : « Oh ! oh ! me répondit-il tristement, il n’y a que l’âne qui sache où le bât le blesse. » Je n’osai pas l’interroger, mais je remarquai qu’à partir de ce moment son imagination devint plus sombre. Quand nous causions de quelque plan de pièce, il me proposait toujours des sujets pénibles et un peu amers. « Vous me demandez souvent, me dit-il un jour, de donner une suite à nos quatre brillants succès, eh bien ! je vous propose un titre, qui est une idée. ― Lequel ? ― L’Amour d’un vieillard ! » Comme je fronçais un peu le sourcil… « Attendez, me