Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/614

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dit-il vivement. Il ne s’agit pas de recommencer Hernani ou l’École des vieillards. Ce que je voudrais peindre, ce sont les douleurs d’un vieillard aimé !… Vous entendez bien ?… aimé ! ― Oui, oui, j’entends. Ce serait le pendant des Malheurs d’un amant heureux… Mais y aurait-il là de l’intérêt ? ― Certes ! reprit-il car ce sera nouveau, poignant et vrai. Là, se trouve un mystère inobservé, du moins au théâtre. Nous autres, hommes, nous pouvons aimer une femme laide, une femme bête, voire même une femme méchante, mais une vieille femme, jamais ! Pour les femmes, au contraire… et ce que je dis là est à leur honneur, car cela prouve qu’elles aiment plus avec l’âme que nous… pour les femmes, l’âge peut s’effacer derrière la gloire, derrière le talent, derrière l’héroïsme ! Le général Cavaignac avait plus de cinquante ans quand il sauva Paris, aux journées de juin. Enthousiasmées par cette victoire, trois ou quatre jeunes filles se prirent d’amour pour lui et voulurent l’épouser. ― Mon cher ami, lui répondis-je, je pourrais à cet exemple en ajouter un plus frappant encore, et qui rentre absolument dans votre sujet. Le vieillard dont je veux vous parler avait plus de soixante ans, et votre titre semble fait tout exprès pour lui, tant il a aimé, et tant il a souffert d’avoir été aimé. ― Qui est-ce donc ? Béranger. ― Béranger ? ― Vous ne connaissez pas son histoire de Tours ? ― Non. ― Je n’en sais guère de plus extraordinaire. ― Racontez, racontez ! reprit-il vivement. ― Béranger étant retiré à Tours, une jeune fille, une Anglaise, se prit pour lui d’une telle passion qu’elle