Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/617

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l’avais lu dans un livre, que, repoussée par moi, soit dépit, soit inconstance naturelle, elle s’était jetée dans un autre amour. Son valseur était son amant. Une morsure si aiguë me déchira le cœur que je tombai anéanti sur un canapé, et j’y restai immobile pendant un quart d’heure. En me relevant, je me rencontrai face à face avec un inconnu dont le visage était si pâle, la physionomie si désespérée, que je ne pus m’empêcher de me dire tout bas : « Oh ! le pauvre homme ! comme il faut qu’il ait souffert ! » Le pauvre homme, c’était moi ! J’avais passé devant une glace et je ne m’étais pas reconnu. Enfin… aujourd’hui encore, mon cher ami, aujourd’hui, si nous sortions, vous et moi, et qu’au détour d’une rue elle m’apparût brusquement, je sens que je tomberais évanoui sur le pavé. »


XI

Cette confidence m’avait attaché encore plus étroitement à Scribe. Elle m’avait montré en lui un homme nouveau. Je lui avais trouvé une force de passion que je ne lui soupçonnais pas, et une sorte d’héroïsme dont je ne l’aurais pas cru capable.

Son énergie eut sa récompense. Toute trace de sa blessure disparut avec le temps. Ses dernières années