Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il s’agissait naturellement d’une tragédie. Arrive le poète : les acteurs (Mlle Contat, Molé, Préville étaient du nombre) se regardent stupéfaits ; le poète avait l’air d’un enfant. De longs cheveux blonds tombant sur ses épaules, pas de barbe au menton, des yeux bleus pleins de douceur, une petite canne pour soutenir sa marche légèrement claudicante, et un précepteur pour l’accompagner. D’un coup d’œil, les artistes se disent : « C’est un fils de grande maison ; le précepteur a fait la tragédie, et l’élève en aura l’honneur ; un ornement à ajouter à son blason. ― C’est sans doute monsieur qui lira l’ouvrage ? dit Mlle Contat en montrant le précepteur. ― Non, madame, c’est moi, » reprend l’enfant d’une voix douce. Il commence, il lit. Il lit bien, l’ouvrage plaît, on y trouve, à côté de beaucoup de faiblesses, des scènes heureuses, des mots touchants, il est reçu à l’unanimité. L’enfant, que la lecture n’avait nullement troublé, ne se trouble pas davantage devant les éloges, ni devant les critiques. « Je vais bien en avoir le cœur net, dit Mlle Contat tout bas à Molé. ― Monsieur, dit-elle à M. Lemercier, nous sommes tous fort charmés de ce que nous avons entendu. Pourtant j’ai remarqué, au second acte, une scène où quelques changements seraient nécessaires. ― Lesquels, madame ? Voulez-vous m’expliquer ce que vous désirez ? » Mlle Contat les lui explique. « Vos critiques sont très justes, Madame, répond l’enfant avec le même calme, et, dans deux ou trois jours, je vous rapporterai la scène corrigée. ― Deux ou trois jours ! répond Mlle Contat. C’est trop long pour notre impatience et pour votre talent, Monsieur.