Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/627

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Ah !Maurice !… » jeté par elle en reconnaissant son amant, au milieu de son délire. Si jamais cri de théâtre sembla un cri d’inspiration, c’est celui-là. Or, Mlle Rachel fut trois jours, je ne dirai pas à le trouver, mais à l’accepter. C’était Scribe qui le lui avait indiqué : elle résistait à Scribe, elle me résistait. « C’est faux ! répondait-elle obstinément, c’est théâtral. ― C’est faux, parce que vous le dites mal, » répondait Scribe, tenace et rude quand il était sur le champ de bataille, c’est-à-dire en répétition. Enfin, après trois jours d’essais infructueux, ce cri entra, si je puis parler ainsi, dans son cœur, et elle nous le reproduisit avec une infidélité admirable ; je dis infidélité, car en passant par sa bouche, ce cri devint sublime. C’était un de ses talents ; on lui donnait un sou, elle vous rendait un louis.

Ces répétitions m’ont laissé encore un souvenir bien caractéristique.

Peu de temps avant la première représentation, on fit relâche au théâtre pour une répétition du soir. Scribe, retenu à l’Opéra, ne vint pas. Les quatre premiers actes nous conduisirent à onze heures ; tout le monde s’éloigna, et nous restâmes seuls, Mlle Rachel, M. Regnier, M. Maillard et moi. Tout à coup Mlle Rachel me dit : « Nous voilà maîtres du théâtre, si nous essayions le cinquième acte que nous n’avons pas encore répété ? Je l’étudie toute seule, depuis trois jours, je voudrais me rendre compte de mon étude. » Nous descendons sur la scène ; plus de gaz, plus de rampe ; pour toute lumière, le petit quinquet traditionnel à côté du trou du souffleur, où