Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/631

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assez gaie, pas assez jeune. La jeunesse et la gaieté sont ce qui sauve de l’odieux le rôle de Célimène. Je dis en riant, à Mlle Rachel, après l’avoir entendue : « Ma chère amie c’est très bien, mais c’est Célimène à quarante ans. »

Enfin, un jour, après une longue conversation sur les rôles de femme au théâtre, elle me demanda instamment de lui en composer un exprès pour elle, et elle ajouta gaiement : « Faites cela, et je vous écrirai une lettre sans faute d’orthographe. » Alors me vint, pour cette troisième tentative, l’idée d’une tragédie à la fois antique et moderne. Je m’explique.

L’antiquité est devenue pour nous, depuis quarante ans, comme un monde nouveau. De nombreux travaux critiques, archéologiques, historiques, numismatiques, artistiques, ont tout à coup jeté une lumière inconnue sur les mœurs, les croyances, les monuments, les œuvres de l’antiquité. Le théâtre grec s’est comme renouvelé par les recherches des érudits allemands, et par le savant et ingénieux ouvrage de M. Patin sur les trois grands tragiques. Armé de ces études nouvelles, j’abordai un sujet qui m’avait toujours attiré par son mystère même, Médée. Je sentais que le poète grec n’avait pas tout dit, qu’il y avait à plonger plus avant dans ce cœur de mère, qu’on pouvait tirer de ses scènes, même les plus belles, des effets plus puissants. Une surtout me tentait : c’était le récit de la mort de Créuse. Médée lui a envoyé, en signe de soumission, par la main de ses fils, des présents d’une rare beauté, une couronne d’or et un péplum du plus fin tissu. Euripide nous raconte,