Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/630

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elle en avait gardé un profond souvenir ; mais, loin de l’effrayer, cette idée de lutte la tentait : « Lisez-moi votre pièce, me dit-elle, nous verrons. » Je la lui lus. Elle la joua, et cette reprise lui valut un triple succès. Succès de talent, succès de beauté et succès de toilettes. Ce dernier lui fut d’autant plus agréable que ce fut le théâtre qui paya. Dieu sait avec quels cris ! Quatre toilettes qui coûtèrent, à elles quatre, 1 500 francs ! On eût dit que la maison était perdue. Aujourd’hui, elles en coûteraient 6 000, l’on payerait sans mot dire, et l’on aurait raison.

Cette seconde réussite resserra encore mes liens avec Mlle Rachel. Je devins presque son ami. Elle me faisait l’honneur de me consulter sur ses autres créations. Elle me lut un soir le drame d’Émile Augier, Diane, qu’elle répétait alors, et cette lecture me confirma dans une opinion que j’ai depuis longtemps, à savoir que la différence est très grande entre lire et jouer. Un excellent lecteur pourrait faire un fort médiocre comédien, et un excellent acteur peut être un lecteur médiocre ; ce sont presque deux arts différents. L’acteur ne représente qu’un personnage dans une pièce, le lecteur doit les représenter tous ; l’un n’a pour instrument que sa voix, l’autre a pour auxiliaires, le costume, les gestes, la démarche, la physionomie ; si bien que Mlle Rachel qui joua le touchant rôle de Diane avec tant de talent, lisait la pièce même sans supériorité. Elle me fit encore le plaisir de jouer devant moi et pour moi, avec sa sœur, Mlle Sarah Félix, la scène de Célimène et d’Arsinoë. Je l’y trouvai spirituelle, mordante, incisive, mais pas