Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/639

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Mlle Rachel partait pour la Russie, et coupait court aux répétitions de Médée.

Le coup fut rude. Une circonstance particulière aggravait ma peine. Il y avait alors une vacance académique, et je comptais sur cette Médée, comme sur un de mes meilleurs titres. Le départ de Mlle Rachel ruinait donc mes espérances. Je ne perdis pourtant pas courage. Elle m’écrivit que son voyage ne faisait que reculer notre pièce de trois mois. Je feignis de la croire. On embarrasse souvent les gens de peu de foi en ayant l’air d’avoir confiance en eux. Cela les oblige. J’employai mes trois mois d’attente à chercher dans le caractère de cette créature étrange les motifs d’espoir qui pouvaient me rester. Oh ! j’ai fait dans ces trois mois-là de grandes études psychologiques. Le lecteur prendra, je crois, quelque intérêt à ce petit voyage de découverte.


II

Mlle Rachel avait des qualités de cœur incontestables. Pas de fille plus affectueuse, pas de sœur plus tendre, pas de mère plus dévouée. Tous ceux qui dépendaient d’elle, tous ceux qui étaient au-dessous d’elle, domestiques, petits employés de théâtre, l’adoraient. Je l’avais vue, à Londres, fondre en larmes en apprenant la