Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/640

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mort d’un jeune prince napolitain, enlevé à vingt-trois ans, et telle fut même la violence de ses sanglots, que son frère, qui était son impresario, craignit que son chagrin ne nuisît à sa voix pour la représentation du soir, et avec la philosophie pratique d’un directeur : « Que diable ! ma chère, lui dit-il, nous sommes tous mortels ! » Mais je me rappelais aussi l’avoir surprise un jour dans sa loge, en costume de Virginie, et dansant un pas de Mabille. « Oh ! mademoiselle Rachel, m’étais-je écrié, pas dans ce costume ! C’est affreux ! ― C’est précisément parce que c’est affreux que c’est charmant, niais que vous êtes ! répondit-elle en riant. Voyez-vous, mon cher ami, au fond, je suis une petite saltimbanque ! »

Elle disait vrai et elle disait faux. Elle était une petite saltimbanque, et elle était une Virginie. Tragédienne par le visage, par la voix, par la démarche, par l’intelligence, elle était comédienne par l’âme et jusqu’au fond de l’âme. Un jour, au sortir d’une réunion aristocratique, où elle avait pris tous ses airs de grande dame, elle éprouva le besoin de se désenducailler, et se livra devant quelques amis à une pantomime de Gavroche. Voilà le signe étrange, caractéristique, de cet être multiple. Tout ce qui jurait lui plaisait. Il y avait en elle, mêlée à tout, et surnageant toujours, un fond de titi gouailleur, qui parlait tous les langages, changeait de dictionnaire en changeant d’interlocuteur et ne connaissait pas de plus vif plaisir que de rire des gens et de les attraper.

Le pauvre M. Viennet l’a appris à ses dépens.