Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/65

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comme enchaîné aux lèvres des orateurs, l’avaient surnommé l’Idiot. L’Idiot faisait son éducation morale ; son passage silencieux à travers toutes les catastrophes de ces sanglantes années fut pour lui comme un voyage dans le terrible poème de Dante. Il en sortit homme : le caractère trempé, le cœur à la fois affermi et attendri, passionné pour la liberté malgré la licence, et haïssant la licence de tout son amour pour la liberté, républicain enfin, selon la définition de Montesquieu qui donne à la République la vertu pour fondement. Seulement Lemercier lui emprunta aussi sa définition de la monarchie, et à la vertu ajouta l’honneur.

De la Terreur à 97, trois ouvrages dramatiques, Clarisse Harlowe, le Lévite d’Éphraïmet le Tartufe révolutionnaire, soutinrent sa réputation sans satisfaire son ambition littéraire, car il se refusa à les faire imprimer, et sans suffire à son insatiable ardeur intellectuelle, car il y mêla l’étude de la peinture de l’étude de la médecine.

Ce fut David qui lui mit le pinceau à la main. Frappé des dons extraordinaires de ce jeune homme, David l’associait volontiers à ses travaux. Le jour où il fut chargé par la Convention de faire le portrait de Lepelletier de Saint-Fargeau assassiné par Pâris, c’est Lemercier qu’il emmena pour l’aider. Le corps avait été déposé dans une salle basse des Tuileries ; l’artiste s’y enferma, et, resté seul avec son élève, lui dit : « Va me chercher un poulet et un couteau. » Le couteau et le poulet apportés, David étendit sur le corps un grand drap, puis, coupant le cou du poulet, il aspergea le