Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/651

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et aussitôt le livre vivant répondait, s’ouvrant de lui-même à la page demandée. Le contraste de caractère des trois amis était écrit dans leurs habitudes de travail : Casimir travaillait toujours en marchant, Scribe toujours assis, et Germain toujours couché. A peine sorti de son lit, il s’installait sur un canapé. Il vivait sur le dos comme un Oriental ; seulement, au lieu de fumer, il prisait, et au lieu de rêver, il lisait.

Un petit fait montrera ce rare conseiller en action.

Scribe lui apporte sa pièce de Geneviève, ou la Jalousie paternelle. Il s’agit, comme on sait, d’un père qui éconduit tous les prétendants à la main de sa fille, parce qu’il ne peut se décider à se séparer d’elle. La lecture finie, Germain dit à Scribe : « Ta pièce est impossible. Le père est un pur égoïste qui sacrifie tout à lui ; il n’aime pas sa fille. »

Scribe remporte sa pièce, et huit jours après, nouvelle lecture de la comédie corrigée. « Oh ! cette fois, s’écria Germain, ton père est bien plus impossible encore ; il l’aime trop » Mot profond d’où sortit la troisième et dernière forme de ce petit chef-d’œuvre de délicatesse, qui s’appelle Geneviève.

Les dîners du jeudi n’étaient pas seulement des séances de consultation ; on échangeait des sujets, on se prêtait des dénoûments. Un jour, Casimir arrive consterné ; il ne pouvait venir à bout de son cinquième acte de l’École des vieillards ; la situation finale lui manquait.

« Attends, lui dit Scribe ; j’achève en ce moment un vaudeville intitulé Michel et Christine, et je me tire d’