Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/662

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

entendre le silence, lire sur la physionomie, faire la part du caractère et de l’esprit de chacun de ses conseillers, juger ses juges, enfin ; telle est la marque des hommes supérieurs. Quelques courts fragments de la correspondance des deux amis montreront comment l’un conseillait et comment l’autre écoutait :


Séricourt, 24 septembre 1842.

J’ai refait en entier, totalement en entier, le quatrième acte, et beaucoup changé les autres. Veux-tu ou peux-tu encore les entendre, si ce n’est pas trop abuser de ton amitié ?

Séricourt, octobre 1845

Mon second volume (il s’agissait d’un roman) sera achevé dans trois jours. Je te le porterai à Paris, pour qu’il reste quelque temps en pension chez toi. Le premier volume s’est trop bien trouvé de tes soins, pour que son frère ne les réclame pas.

J’ai lu, depuis ton départ, toutes les observations sur mes trois actes, c’est-à-dire presque toutes, car tu as fait là, mon pauvre ami, un travail prodigieux, et, comme tout ce que tu fais, consciencieux. Dans tout ce que j’ai vu, tu as parfaitement raison ; toutes tes notes sont d’un goût excellent, d’une critique très judicieuse, et je ne sais maintenant si je dois t’en remercier, car me voilà obligé d’y faire droit, ce qui sera encore un très long travail.


Mahérault, outre son fin esprit critique, porta dans son rôle de conseiller deux qualités essentielles ; il ne vous conseillait jamais que ce que vous étiez capable de faire. Je l’en félicitais toujours, et je lui citais à ce sujet une bien jolie anecdote que m’a racontée M. Guizot sur Gouvion-Saint-Cyr :

« Le général *** commandait en chef en Espagne, Gouvion Saint-Cyr en second. L’ennemi serrait de près