Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/661

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ligne… Pas une contradiction qu’il ne relève, pas une erreur qu’il ne signale, je dis qu’il ne signale, je devrais dire qu’il ne poursuive, car il porte dans ses fonctions, l’implacabilité de l’honnête chef de division, en face d’une erreur de chiffre. Sa sincérité va parfois jusqu’à la dureté. « Ces couplets sont d’une faiblesse désespérante : ni trait, ni pensée ! La mauvaise prose qu’ils remplacent valait encore mieux ! » Voilà bien la rudesse de commerce que réclamait Montaigne dans une amitié véritable ! J’honore beaucoup Mahérault pour cette sincérité, mais j’avoue que je n’admire pas moins Scribe. Il fait exception là, comme partout.

Les auteurs qui consultent, se divisent en trois classes : les humbles, qui doutent toujours d’eux ; les vaniteux, qui n’en doutent jamais, et les habiles, les hommes forts, qui écoutent tout, apprécient tout et utilisent tout. A la première critique, les humbles s’écrient : « Oh ! comme vous avez raison ! comme c’est mauvais ! » Et les voilà tout prêts à condamner l’œuvre entière et à la jeter au feu ! Il faut toujours leur sauver leur Énéide des mains. Classe peu nombreuse.

Les vaniteux s’étonnent, sourient dédaigneusement, ou s’irritent. Ce sont les petits-fils d’Oronte. Ancelot était un type du genre. A la lecture d’une de ses comédies, un auditeur, après l’avoir accablé de : Délicieux !exquis !charmant ! a l’audace de glisser timidement : « Le second acte est peut-être un peu trop long. ― Je le trouve trop court », répond vivement Ancelot.

Viennent enfin les maîtres. Demander des conseils, les écouter, savoir tirer parti même d’un mauvais avis,