Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/676

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en ajoutant que vous n’étiez pas assez républicain. ― Et l’on me refuse ! m’écriai-je. ― Le mot n’est pas juste. On ne vous refuse pas,… mais… ― Mais on ne veut pas de moi ! Je suis rayé de la liste ! Je ne suis pas Commissaire du Gouvernement ! Ah ! mon cher ami, repris-je en serrant les deux mains d’Élias Regnault, jamais on ne m’a donné une si bonne nouvelle. Jamais je n’ai ressenti une joie pareille. ― Comment reprit-il stupéfait. ― Mais j’avais accepté, la mort dans l’âme, par devoir, par amitié pour Reynaud. Et l’on me destitue… avant ! Et je suis libre ! Vous dites que c’est Lamartine qui a fait biffer mon nom ? Je vais lui mettre ma carte. » Et me voilà parti, laissant Élias Regnault absolument abasourdi. Je cours au ministère de l’Instruction publique, et entrant chez Reynaud : « Mon cher ami, lui dis-je, vous voyez le plus heureux des hommes, on me refuse ! ― Quoi ? » Je lui conte tout, et j’ajoute : « Maintenant, ma récompense. Je me suis dévoué pour vous. Il faut que vous vous employiez pour moi. ― Comment ? ― Vous êtes tout-puissant dans votre ministère, autorisez-moi à parler mon livre sur les femmes au Collège de France. ― C’est fait, » me répond-il. Et le lendemain je lus à l’Officiel : « M. Legouvé est autorisé à faire gratuitement un cours au Collège de France sur l’histoire morale des femmes. »

Mon cours s’ouvrit en avril 1848. Le matin de ce jour-là, je me levai avec une grande peur, et une grande joie. Ma joie venait de ce que la salle où je devais parler portait le numéro 8, et que c’était précisément ce numéro 8 où mon père avait professé la poésie latine,