Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/677

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quarante ans auparavant ; j’étais son continuateur : c’était lui qui m’avait préparé le chemin, et qui me présentait au public.

Ma peur, était de trouver une salle vide, ou un public hostile. A ce moment, sous le coup de la Révolution, toutes les théories les plus folles couraient les rues, on voyait le bataillon des Vésuviennes parcourir le boulevard avec un drapeau rouge ou noir, je ne sais lequel… portant cette devise : Émancipation des femmes. A ce moment enfin, on ne pouvait parler sérieusement des femmes, sans faire rire ; J’arrive au Collège de France. La cour, le péristyle, la salle, tout était plein d’une foule bourdonnante et tourbillonnante. J’eus grand’peine à arriver jusqu’à ma chaire. J’y montai au milieu d’un tumulte indescriptible. Impossible de prononcer une parole. Les gens qui étaient dehors frappaient à la porte, jusqu’à la briser. Un de ces impatients monte sur une grande échelle, et apparaît en haut d’une des fenêtres de la cour, dont il avait cassé le dernier carreau. On s’imagine les éclats de rire de la salle ! Les plus animés du dehors criaient : Dans la cour !Dans la cour !Qu’il parle dans la cour ! D’autres disaient !A la Sorbonne !A la Sorbonne !Au grand amphithéâtre ! Le brouhaha dura vingt-cinq minutes. Ces vingt-cinq minutes me furent fort utiles. J’entrai en conversation avec mon auditoire. Comme ce tumulte n’avait rien que de sympathique, nos échanges de demandes et de réponses, étaient paroles de bonne humeur, et de gaieté. Rien de lie comme de rire ensemble. Ce cours, débutant par vingt-cinq minutes