Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/729

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lui donnait un petit air de forçat dont il riait le premier.

Ces précautions venaient de la peur qu’il avait de ses distractions, en quoi il n’avait pas tort. Il n’était pas pour rien le fils de son père. En effet les traits de distraction de M. Ampère étaient autant de légendes qui passaient à l’École polytechnique, de promotion en promotion : M. Ampère s’essuyant le front avec le linge destiné au tableau et se retournant vers ses élèves le visage enfariné ; M. Ampère commençant dans la rue un calcul sur le derrière d’un fiacre arrêté, et courant après sa preuve quand le fiacre partait ; M. Ampère laissant sa petite fille toute une journée dans une antichambre ; M. Ampère entrant dans son salon en costume complet d’académicien : habit, veste, chapeau, épée, tout enfin, sauf les culottes. Eh bien, son fils était digne de lui. Un jour, chez Mme C…, où ses dernières années se sont écoulées si doucement, au sein d’une affection si vigilante, si intelligente, si respectueuse de son travail, si enchantée de son esprit, si reconnaissante de sa présence, il arrive dans la salle à manger, au commencement du dîner, dans un état d’effarement complet. « C’est inimaginable, dit-il je ne sais pas ce que j’ai fait de la clef de ma chambre. ― Cherchez dans vos poches. ― J’ai cherché, elle n’y est pas. ― Demandez au domestique. ― Il ne l’a pas.― Où pouvez-vous l’avoir laissée ? ― C’est ce qu’il m’est impossible de deviner. J’ai fouillé partout, dans mes tiroirs, dans mon armoire, dans ma commode, rien. ― Comment, mon ami, lui dit la spirituelle maîtresse de maison, vous avez fouillé dans