Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/730

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les tiroirs ? ― Oui ! ― Dans les tiroirs de votre chambre ? ― Oui ! ― Mais alors vous y êtes donc entré ? ― Sans doute ! puisque je vous dis que j’ai fouillé partout. ― Mais comment y êtes-vous entré ? ― Parbleu, avec ma… Ah ! c’est vrai s’écria-t-il, j’y suis entré avec ma clef ! Ah ! ah ! c’est admirable, elle était dans la serrure ! elle y est encore ! » On entend d’ici les rires de tout le monde, et les siens.

Ce qui le distinguait de son père, c’est que ses affections n’avaient jamais ni distractions, ni intermittences, ni ralentissements. Un jour qu’il était à Rome, auprès de la première femme qu’il ait adorée, Mme Récamier, il reçoit de son père, alors à Lyon, une lettre qui l’appelle avec grande effusion de tendresse. Il s’arrache à son amour et, le cœur déchiré, il arrive à Lyon. Il est reçu à bras ouverts ; le lendemain, à déjeuner, son père s’assied à table, songeur, silencieux, puis tout à coup, levant la tête, il lui dit : « Jean-Jacques (il avait appelé son fils Jean-Jacques en souvenir de Rousseau), c’est bien singulier, je croyais que cela me ferait plus de plaisir de te revoir. »

Ce mot si comiquement et si naïvement cruel n’eût jamais été prononcé par notre Ampère.

Du reste rien de plus pareil et rien de plus dissemblable que ce père et ce fils. Ces deux esprits supérieurs avaient pour caractère commun, la fécondité et l’initiative. Mais une fois à l’œuvre, la bifurcation commence. Pendant que le père, se donnant tout entier à la science, fait sortir, de sa concentration sur un point, deux ou trois découvertes immortelles ; le fils se répand comme