Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/740

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à ce poète tourmenté et pédantesque le souvenir du génie grec, tout fait de lumière et de grâce ? Je n’ai jamais pu le comprendre. Sans doute Lebrun avait du talent, beaucoup de talent, trop de talent ; sans doute l’Ode à Buffon, l’ode sur le Vengeur, l’ode sur Corneille, offrent des vers heureux, des traits énergiques, même quelques belles strophes, comme celle qui se termine ainsi :

 
La mémoire est reconnaissante,
Les yeux sont ingrats et jaloux.


Mais je ne puis oublier que c’est Écouchard Lebrun qui, sous prétexte de lyrisme, a empoisonné notre poésie de cet affreux style déclamatoire, emphatique, et plein de périphrases, dont la contagion a atteint parfois les plus vigoureux esprits de son temps. Lemercier l’admirait trop ; si l’auteur d’Agamemnon a souvent gâté ses belles inspirations poétiques par une versification laborieuse et obscure, la faute en est à Lebrun. Ses jugements étaient cités comme des oracles, ses vers comme des modèles. Il se posait en disciple de l’antiquité et en maître de la poésie moderne. Un exemple suffira pour montrer s’il y avait droit. Louis Racine meurt, Lebrun l’aimait comme homme, l’admirait comme poète, et honorait en lui le fils de l’auteur d’Athalie. Quelle belle occasion pour faire un chef-d’œuvre !

Voici les vers de Lebrun :

 
Je le vois trop, Parque barbare,
Tu prétends en désert changer notre Hélicon !
Hélas, fumante encor du sang de Crébillon,