Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/741

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Ta faux, sourde à nos pleurs, ta cruauté bizarre
Nous enlève Racine et nous laisse Fréron.
Je le vois trop, Parque barbare,
Les talents sont en proie à l’avide Achéron,
L’enfer en est jaloux, le ciel en est avare,
Il te reste à frapper et Voltaire et Buffon.


Je ne puis transcrire ce galimatias, sans un sentiment de colère ! Et c’est un ami qui parle ainsi ! C’est un poète surnommé Pindare qui écrit de la sorte ! Pas un mot de cœur ! Pas une image juste ! Cette Parque qui a une faux ; cette faux qui est sourde à nos pleurs. Ces talents qui sont en proie à l’Achéron. Quelle friperie mythologique ! Quelle fausse grandeur ! Quelle fausse force ! Le croirait-on pourtant ? ce lyrique boursouflé fut un épigrammatiste de premier ordre. Il a laissé un volume entier d’épigrammes, dont plusieurs sont des chefs-d’œuvre.

 
Eglé, belle et poète, a deux petits travers,
Elle fait son visage, et ne fait pas ses vers.


Mais surtout cette éloquente et vigoureuse attaque à Laharpe, qui avait critiqué Corneille :

 
Ce petit homme à son petit compas
Veut sans pudeur asservir le génie ;
Au bas du Pinde il trotte à petits pas,
Et croit franchir les sommets d’Aonie ;
Au grand Corneille il a fait avanie !
Mais, à vrai dire, on riait aux éclats
De voir ce nain mesurer cet Atlas,
Et, redoublant ses efforts de pygmée,
Burlesquement raidir ses petits bras,
Pour étouffer si haute renommée !