Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/744

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et de Mlle Mars ; Mlle Mars jouait Benjamin.

Ma candidature académique me fit entrer en relations avec M. Baour-Lormian, vers 1852. Je n’oublierai jamais la première visite que je lui fis. Il demeurait alors aux Batignolles, rue des Dames, dans un petit appartement au second, au fond de la cour. J’arrive, je sonne. Une femme de ménage qui vient m’ouvrir, crie mon nom à son maître, j’entre, et je vois, debout au milieu de la chambre, un grand vieillard, vêtu d’une vieille houppelande fanée, le chef couvert d’une petite perruque racornie et frisottée, d’où s’échappaient quelques mèches de cheveux gris, le nez barbouillé de tabac, les joues assez pleines mais molles et jaunes, levant en l’air deux yeux éteints et glauques, et tenant en main un violon, dont le manche était entouré d’un mouchoir. Pourquoi ce mouchoir ? Je n’ai pas pu m’en rendre compte. A peine mon nom prononcé, il fit un pas vers moi, et me montrant son instrument : « Vous voyez, monsieur Legouvé, c’est le violon de l’aveugle. J’en joue encore ; quoique je sois plus qu’à demi sourd. Je fais même encore des vers. Je tâche d’oublier mon âge, et le reste. » Posant alors son violon sur son lit, il se mit à crier d’une voix formidable. « Monsieur Vilargue ! » M. Vilargue était un voisin, pauvre, et qui venait tous les matins, pour une modeste rétribution, lui servir de secrétaire et de lecteur. M. Vilargue paraît, et répond de la même voix tonnante : « Monsieur Baour-Lormian ! » Oh ! ils étaient faits pour s’entendre.

« Monsieur Vilargue, voici M. Legouvé, le fils de mon ancien confrère et ami. Il est poète aussi. Aidez-moi