Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/745

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à le bien recevoir. » Nous nous assîmes, et, naturellement, je lui parlai de son Ossian, que je connaissais très bien, et qui m’avait beaucoup plu dans ma jeunesse. Un des avantages du titre d’académicien, c’est de vous amener à chaque candidature des visiteurs qui savent ce que vous avez fait autrefois, ne fût-ce que pour l’avoir lu le matin. Après quelques minutes d’une conversation un peu confuse, le vieux poète reprit sa voix tonnante et dit : « Monsieur Vilargue ! ― Monsieur Baour-Lormian ! ― Lisez donc à M. Legouvé ma dernière pièce de poésie… » Il lut, j’écoutai, et je restai stupéfait. J’y retrouvai toutes ses qualités d’autrefois. C’était la même élégance un peu fleurie, mais facile et agréable ; la même harmonie. Ces poètes du Midi sont des artistes très particuliers. Ils ont toujours le même âge. Ils ne mûrissent pas, mais ils ne vieillissent pas. Ils sont déjà à vingt ans tout ce qu’ils pourront être, et ils le sont encore à soixante. La réflexion, la pensée, le travail n’occupant pas grande place dans leur talent, le temps leur apporte peu de chose, mais il ne leur emporte rien. Méry et Barthélemy sont les modèles de ces heureux fils des pays du soleil. Leurs premiers vers valaient les œuvres de leur maturité. Ils n’ont rien gagné, ni rien perdu. Tel était Baour-Lormian. Ma franchise n’eut pas à souffrir de mes éloges, ce que voyant, il se retourna vers son secrétaire. « Monsieur Vilargue ! puisque ce morceau a plu à M. Legouvé, lisez-lui donc mon Épître au Prince-Président, qui, j’espère, imitera en tout l’Empereur, son oncle. » L’Empire avait été pour Baour-Lormian ce qu’on appelle l’âge d’or, il