Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/753

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mort de Socrate, moins pures peut-être de forme que sa première œuvre, mais plus puissantes de composition et plus riches de coloris, ajoutèrent chaque année quelque chose à sa gloire, et que Jocelyn y mit le sceau. Jocelyn n’était pas moins qu’une seconde et éclatante innovation, qu’une conquête de plus dans le domaine poétique. La France n’avait pas d’épopée, Lamartine lui en donna une, l’épopée intime. La renommée sans cesse croissante de l’auteur des Orientales, ne l’amoindrit pas, ils rayonnèrent à côté l’un de l’autre, sans s’éclipser. Chacun d’eux eut son royaume, je dirais volontiers son peuple, et leurs admirateurs purent se dire mutuellement, comme dans Athalie :

 
J’ai mon Dieu que je sers, vous adorez le vôtre :
Ce sont deux puissants Dieux…


En est-il de même aujourd’hui ? Non.

La gloire de Victor Hugo a pris de telles proportions, elle se ramifie si profondément dans toutes les couches sociales, qu’elle constitue un phénomène à part. Quant à Lamartine, il faut oser le dire, son astre a pali. Il n’occupe plus, dans l’admiration générale, la place qui a été si longtemps la sienne. On achète toujours ses ouvrages, ils figurent au premier rang dans les bibliothèques, on les revêt de maroquin et de dorures, mais ils ne courent plus de mains en mains, ils ne se placent plus sous le chevet, ils ne s’emportent plus à la promenade sous la forme de ces petits volumes usuels