Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/763

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bien, parlez. » Ils commencent pendant qu’il est au bain, ils continuent pendant qu’il en sort, ils poursuivent pendant qu’il s’habille ; ils achèvent pendant qu’il déjeune ; et deux heures après, Lamartine prononce à la Chambre un discours d’affaires, d’une clarté et d’une précision admirables. Le succès fut très grand, l’étonnement plus grand encore : tout le monde était stupéfait, excepté lui. « Il y a longtemps, dit-il, que je connais ma capacité comme homme pratique. Le monde ne veut pas y croire, parce que j’ai fait des vers. Encore, s’ils étaient mauvais ! Par malheur, il y en a de bons, il y en a même de beaux. C’est ce qui me perd. »

Sa prescience éclata parfois à la tribune en mots prophétiques. Quand la Chambre voulut voter le retour des restes de Napoléon Ier, Lamartine protesta. Le mariage bizarre du libéralisme et de l’impérialisme sous la Restauration, l’avait toujours choqué ; il y voyait un mensonge. En vain, tous les grands poètes de l’époque, étrangers comme français, Manzoni, lord Byron, Béranger, Victor Hugo, Casimir Delavigne se faisaient-ils les coryphées de cette immense gloire ; Lamartine, tout en admirant le génie, allait implacablement chercher le tyran sous le conquérant, et lui lançait ce terrible anathème :


Rien d’humain ne battait sous son épaisse armure.


Cet accouplement de la liberté et du despotisme lui semblait pour la liberté un adultère ! Aussi s’éleva-t-il contre ce retour triomphal, de toutes les forces de son éloquence. Jamais la tribune n’avait entendu de plus admirables