Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/765

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vous donc tout cela, monsieur de Lamartine ? je n’aperçois rien de ce que vous décrivez. ― C’est tout simple, répondit Lamartine, je regarde en poète, et vous en capitaine d’état-major. » Voilà le mérite et le défaut de Lamartine comme historien. Personne n’a représenté avec plus de puissance, les grandes journées de la Révolution ; personne n’a tracé des portraits plus saisissants de ses principaux acteurs. Pourquoi ? Parce qu’il les voit tout ensemble avec les yeux et avec l’imagination ; parce qu’il les transfigure sans les défigurer ; parce qu’enfin, il est poète. Malheureusement il n’est pas assez capitaine d’état-major. De là, un livre éloquent, entraînant, pathétique, et admirablement juste d’ensemble, mais beaucoup moins irréprochable dans les détails, et qui nous fait comprendre qu’il y a une différence entre l’exactitude et la vérité. Il n’en pouvait pas être autrement. Lamartine avait beaucoup lu, mais au hasard, sans méthode, par caprice. Il n’avait pas de capital d’instruction ; il n’avait pas même de bibliothèque. Quelques volumes courant l’un après l’autre dans sa chambre, sans domicile connu, voilà tout son bagage d’études. Quand il avait besoin d’un ouvrage, il l’envoyait chercher chez le libraire voisin, et le lisait, comme les avoués lisent un dossier, avec cette intuition merveilleuse qui les fait tomber juste sur les passages qui leur sont utiles, comme si ces passages étaient écrits en rouge. Ainsi faisait Lamartine : il dévorait les livres, les devinait, se les assimilait, les transfigurait et passait. L’Histoire parlementaire de Buchez et de Roux lui avait donné la première idée des Girondins ; il la compléta