Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/766

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par la lecture fiévreuse des ouvrages qu’un ami lui indiqua ; puis il se mit en quête de renseignements plus personnels.

Un fait curieux nous mettra au cœur même de ce livre si étrange et si mal jugé comme acte. Lamartine apprit qu’un des derniers débris de la Convention, un des derniers membres du Comité de salut public, un des amis les plus fidèles de Robespierre, le docteur Soubervielle, vivait encore dans un des faubourgs de Paris. Lamartine arrive chez lui un matin, à dix heures. Le vieillard ― il avait quatre-vingt-trois ans ― était encore couché. A l’entrée de l’illustre visiteur, il se lève sur son séant, sans émotion, sans trouble devant cette grande gloire : les hommes de ce temps-là ne se troublaient pas, et n’admiraient guère que ce qui leur ressemblait. Puis, inclinant légèrement sa tête coiffée d’un bonnet de coton, il lui dit d’une voix nette et brève : « Que désirez-vous de moi, monsieur ? ― Des renseignements précis sur la Convention, dont j’écris l’histoire. ― Vous ? reprend le vieillard en le regardant entre les deux yeux ; puis avec cette énergie de langage qui faisait partie du dictionnaire d’alors : ― Vous n’êtes pas f… pour écrire cette histoire-là. » Et il se recouche. Lamartine ne s’effraya nullement de cette réponse, pas plus de la forme que du fond. Ce participe passé ne lui faisait pas peur, même pour lui ; il en usait fréquemment ; ce qui jurait bien un peu avec le caractère général de sa poésie ; mais, comme dit Pascal, tout est contraste dans le cœur humain. Il tint donc bon et emporta quelques détails précieux.