Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/767

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Le livre produisit un effet énorme, et eut une influence considérable ; non pas, comme on l’a dit injustement, parce que c’était l’apologie de la Terreur, tout le monde eût reculé d’horreur et de dégoût, mais parce que c’était l’apologie de la République. Lamartine la réhabilitait en la présentant sous une forme poétique et grandiose ; il la purifiait, en la dégageant des atrocités dont elle a été victime plus encore que complice ; il réveillait dans la France, des idées de gloire, de liberté, qui semblaient comme autant de satires de cette politique craintive, un peu bourgeoise, de cette politique d’effacement, que j’avoue n’avoir pas le courage de blâmer aujourd’hui… car qu’est-ce que l’effacement près de la mutilation ? Mais alors nous avions encore le droit d’avoir des susceptibilités nationales et des aspirations de grandeur. Les Girondins répondaient à ces pensées. Lamartine traduisit cette vague agitation des esprits par des mots désormais historiques : « La France s’ennuie ». Enfin, comme des grands oiseaux de mer, il sentait venir l’orage, et volait vers un but lointain, vaguement entrevu. Un de ses amis, inquiet de la nouvelle direction de ses idées, lui en ayant demandé la raison, il lui répondit ces paroles textuelles : « Je vous où va la France ! Je vais l’attendre à dix ans de distance. Elle m’y trouvera, m’y prendra en passant, et je pourrai lui être utile… » Nous voilà à l’Hôtel de Ville.