Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/77

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national, il ne se contenta pas, comme les écrivains de son temps, d’étudier les historiens. Il se plongea dans les documents originaux, il dépouilla toutes les chroniques, il s’imprégna de la couleur et des passions diverses de ces époques ; puis, le moment de l’exécution venu, comme si un mauvais génie lui avait jeté un sort, il revêtit ses personnages d’une noblesse uniforme ; il leur prêta un langage vague ou déclamatoire ; on dirait parfois Augustin Thierry écrivant avec la plume d’Anquetil. Il en est de son talent comme de son corps ; une partie seule est vraiment vivante. Mais que de puissance et d’originalité dans cette moitié de grand poète ! Pas une de ses œuvres où n’éclate quelque beauté neuve. Le troisième acte d’Agamemnon est digne d’Eschyle. L’apparition du jeune Oreste, au dénouement, ressemble à une création de Shakespeare. Pinto demeure une forme absolument nouvelle de pièce de théâtre : c’est la comédie de la tragédie. La Panhypocrisiade abonde en scènes saisissantes, en traits sublimes. Quoi de plus tragique que ce petit Charles VII épouvanté de la folie de son père, Charles VI, parce qu’il tremble d’en hériter ! Dans Frédégonde et Brunehaut, n’est-ce pas un trait de génie que la mise en regard de ces deux haines, haine de servante et haine de souveraine, haine d’en bas mêlée de rage, haine d’en haut mêlée de mépris ! Les œuvres de M. Lemercier me font l’effet d’un minerai où le métal précieux abonde, mais souvent enfermé dans la gangue : brisez la pierre, et vous trouverez l’or.

Puis, ce qui complète son talent, c’est son caractère