Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/774

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c’était la liberté anéantie, c’était cette nation s’agenouillant avec enthousiasme devant le nom qu’il avait, lui, le plus maudit ; et comme si, en face de ce nom, il eût été saisi pour la seconde fois d’un trouble prophétique, comme s’il eût entrevu le terrible châtiment dont nous devions payer ce fétichisme, il jeta, ainsi que Brutus, aux champs de Thessalie, ce cri de désespoir : « Ce peuple n’est que du sable ! J’aurais dû me faire tuer sur les marches du trône de Louis-Philippe. »

J’arrive à ces sombres et dernières années qui ne furent plus pour lui qu’une longue lutte contre l’esclavage de la dette, où parfois, il faut bien le dire, il manque de fierté… par orgueil. Il se souvint trop de ce que la France lui devait, et pas assez de ce qu’il se devait à lui-même.

Je ne m’arrêterai pas sur ce triste sujet ; je me rappelle le mot charmant de Saint-Marc Girardin, devant qui on accusait Lamartine de désordre et d’incurie : « C’est peut-être vrai, dit-il, mais je connais tant de gens qui en font autant et qui n’ont pas fait les Méditations ! » D’ailleurs, n’oublions pas que ces épreuves furent sanctifiées par le travail et poétisées par le dévouement. Lamartine n’était déjà plus lui-même ; sa pensée lui échappait à demi que sa plume, comme celle de Walter Scott, travaillait encore, travaillait toujours pour payer ce qu’il devait. Le ciel lui donna une admirable auxiliaire dans cette œuvre ; je n’en veux pour preuve qu’un seul fait. Lamartine était à Saint-Point. Un soir, arrive un de ses amis : »O mon cher, comme vous venez à propos ! Je viens d’achever pour le Siècle une très longue