Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/775

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étude sur Béranger. Voici les épreuves ; lisez cela ; vous en serez ravi ; c’est superbe ! » L’ami monte dans sa chambre, se couche, et commence dans son lit la précieuse lecture. Minuit venait de sonner quand il entend frapper à sa porte : « Qui est là ? ― C’est moi, répond une douce voix, moi, Mme de Lamartine, ouvrez ! ― Impossible d’ouvrir, madame, je suis couché. ― C’est égal, la porte de votre chambre est au pied de votre lit ; entr’ouvez-la et prenez… » Il entre-baîlle la porte, une main passe et lui tend un papier. Il le prend, la porte se referme, et voici ce qu’il lit : « Il y a, à la page 13, un passage qui m’inquiète. J’ai peur qu’il ne fasse du tort à M. de Lamartine auprès des lecteurs du Siècle. Ne pourrait-on pas le modifier ainsi ? ― » La modification était excellente, et l’ami venait de l’écrire en marge de l’épreuve, quand il entend frapper un second coup. « Est-ce encore vous, madame ? ― Oui, ouvrez-moi votre porte comme tout à l’heure et prenez ! » Et il lit : « A la page 32, se trouve un autre passage qui… » N’est-ce pas charmant ? ce dévouement qui oublie toutes convenances, cette pureté qui passe par-dessus la pudeur, ne touche-t-elle pas profondément ? Car, remarquez-le bien, Mme de Lamartine était non seulement la plus sainte des femmes, mais une puritaine… Que dis-je ? Une Anglaise qui joignait toutes les pruderies britanniques à toutes les délicatesses françaises, et elle venait bravement, à minuit, frapper à la porte d’un jeune homme, ne s’arrêtait pas devant sa réponse qu’il était couché, et lui passait tranquillement deux petits billets à travers la porte, exactement comme