Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/777

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pendant qu’il passait. Les cloches des diverses églises se répondaient et s’annonçaient l’une à l’autre le funèbre convoi. Près de Saint-Point, un vieux paysan debout devant sa porte pleurait. « Vous pleurez, mon pauvre homme, lui dit, en lui prenant les mains, J. Sandeau qui faisait partie du cortège ; vous faites là une grande perte ! ― Ah ! oui ! monsieur, c’était un homme qui faisait honneur à la commune. » Le vieux paysan avait raison. Lamartine faisait honneur à la commune comme à la contrée, à la contrée comme à la France, à la France comme à l’Europe, comme à l’humanité tout entière ; il faisait honneur à l’homme.

L’homme, voilà ce que je veux achever de considérer dans Lamartine, c’est-à-dire dans une des plus singulières et des plus originales créatures que notre siècle ait produites. Il vous étonnait sans cesse : tout en lui était à la fois contraste et harmonie. Une beauté de visage et une grâce de démarche tout aristocratiques, avec des négligences de costume qu’il relevait par ses airs de prince et dont il faisait des élégances. Une éloquence de tribune, pleine de mots frappés comme des médailles, et d’idées fortes traduites en images étincelantes, le tout accompagné d’un grand verre de vin qu’il brandissait en l’air au-dessus des sténographes épouvantés. Une masse énorme de dettes, et rien pour les expliquer ! Pas un besoin, il était sobre comme un Arabe. Pas un goût véritablement ruineux, il n’aimait, en fait de luxe, que les chevaux. Pas un vice ! Je me trompe, il en avait un, du moins il s’en vantait ; mais la raison pour laquelle il s’en est corrigé est si étrange, qu’elle achèvera