Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/787

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grand succès Joas, Louison, Clistorel, puis, peu à peu, elle monta des rôles d’enfant aux rôles d’ingénue, des rôles d’ingénue aux rôles de jeune fille, et enfin, elle créa à côté de Mlle Mars, dans une comédie intitulée la Demoiselle et la Dame, un personnage de jeune mariée, où elle ne parut pas inférieure à son admirable partenaire. Mais tout à coup, au milieu de ses succès, l’habile directeur du gymnase l’enleva au Théâtre-Français, et elle alla servir d’interprète à Scribe sur la scène du boulevard Bonne-Nouvelle, dans plusieurs de ses plus charmants ouvrages. Les amateurs de ce temps-là (s’il en reste) se rappellent la délicieuse naïveté de Mlle Despréaux, devenue Mme Allan, dans la Pensionnaire mariée ; sa railleuse gaîté dans Être aimé ou mourir, et surtout ses incomparables accents de passion dans Les Malheurs d’un amant heureux. Elle vit clair, là où Scribe n’avait rien vu. La pièce contenait deux rôles principaux, une jeune veuve, et une jeune femme. Scribe, après la lecture faite aux acteurs avec un immense succès, s’approcha de Mme Allan, et d’un air fort embarrassé : « Ma chère amie, lui dit-il, vous voyez un homme très ennuyé, et un peu honteux. Vous allez m’accuser d’ingratitude et de manque de parole. Mais j’ai été forcé de céder. ― De quoi s’agit-il donc ? ― Je vous destinais dans ma pièce, le meilleur des deux rôles de femme, je devrais dire le seul bon, mais notre directeur, Poirson, l’a réclamé impérieusement pour Léontine Fay. Je n’ose vous demander d’accepter le second, il n’est pas digne d’un talent comme le vôtre. ― Je conviens, répondit Mme