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32[1]. Et celui de la Raison suffisante, en vertu duquel nous considérons qu’aucun fait ne saurait se trouver vrai ou existant, aucune Énonciation véritable, sans qu’il y ait une raison suffisante pourquoi il en soit ainsi et non pas


  1. Principe de contradiction ; Principe de Raison suffisante. — Nous ne pouvons mieux faire pour commenter ces deux paragraphes que de nous reporter, comme l’indique Leibniz, au §41 de la Théodicée. « Tous les philosophes reconnaissent que la vérité des futurs contingents est déterminée et qu’ils ne laissent pas de demeurer contingents. C’est que la chose n’impliquerait aucune contradiction en elle-même, si l’effet ne suivait ; et c’est en cela que consiste la contingence. Pour mieux entendre ce point, il faut considérer qu’il y a deux grands principes de nos raisonnements ; l’un est le principe de contradiction qui porte que de deux propositions contradictoires, l’une est vraie, l’autre est fausse ; l’autre principe est celui de la raison déterminante : est que jamais rien n’arrive sans qu’il y ait une cause ou du moins une raison déterminante, c’est-à-dire quelque chose qui puisse servir à rendre raison à priori pourquoi cela est existant plutôt que de toute autre façon. Ce grand principe a lieu dans tous les événements, et on ne donnera jamais un exemple contraire : et quoique le plus souvent ces raisons déterminantes ne nous soient pas assez connues, nous ne laissons pas d’entrevoir qu’il y en a. Sans ce grand principe, nous ne pourrions jamais prouver l’existence de Dieu et nous perdrions une infinité de raisonnements très justes et très utiles, dont il est le fondement… Aussi n’est-il rien de si faible que ces systèmes où tout est chancelant et plein d’exceptions. » Le §169 est consacré à l’examen de l’opinion d’Épicure. « Il paraît, dit Leibniz, qu’Épicure, pour conserver la liberté et pour éviter une nécessité absolue, a soutenu après Aristote, que les futurs contingents n’étaient point capables d’une vérité déterminée… Il serait beaucoup moins honteux d’avouer que l’on ne peut répondre à l’adversaire que de recourir à de semblables moyens. » Le principe de raison suffisante pourrait aussi s’appeler le principe de l’universelle intelligibilité : il consiste, en effet, à soutenir que tout est intelligible et peut être ramené aux lois de notre intelligence sinon par nous, du moins par une intelligence supérieure à la nôtre, infinie. Tous les progrès de la science confirment ce principe puisqu’ils consistent à ramener aux lois de notre intelligence une portion de plus en plus grande de la réalité. Pourtant, des philosophes contemporains soutiennent qu’il y a nécessairement et de l’inconnu, et de l’inconnaissable. C’est, au fond, nier le principe de raison, nier la raison. Platon disait que tout a son idée, c’est-à-dire son explication, sa raison d’être, son principe d’essence et d’existence. On pourrait résumer le système de Platon et de Leibniz sous cette forme : « Tout ce qui est rationnel est réel. » Ce commentaire explique le mot de Leibniz qui a quelquefois étonné les interprètes de sa doctrine portés en général à la rattacher au péripatétisme plutôt qu’au platonisme. « Le sien (le système de Locke) a plus de rapport à Aristote et le mien à Platon, quoique nous nous éloignions en bien des choses l’un et l’autre de la doctrine de ces deux anciens. » (Nouv. Ess., Avant-propos, Erdm., 191., a.) Opposons à la doctrine demi-sceptique de l’inconnaissable, qui peut être prise dans un bon sens, la doctrine de Hégel qui pourrait se résumer dans cette formule : « Tout ce qui est rationnel est réel. » La première nous interdit la sphère du divin comme impénétrable, la seconde fait de notre intelligence la mesure de toutes choses et la mesure de Dieu : l’une et l’autre sont en contradiction avec l’esprit du leibnizianisme. Notre esprit réclame impérieusement une raison suffisante de chaque chose parce qu’il sait que Dieu ne l’aurait pas créée sans cette raison. « Si cette opinion était véritable (qu’un univers possible peut être meilleur que l’autre à l’infini), il s’ensuivrait que Dieu n’en aurait créé aucun ; car il est incapable d’agir sans raison et ce serait même agir contre la raison. C’est comme si l’on s’imaginait que Dieu eût décrété de faire une sphère matérielle, sans qu’il y eût aucune raison de la faire d’une telle ou telle grandeur. Ce décret serait inutile, il porterait avec soi ce qui en détruit l’effet. » (Théod., §196.)