Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/62

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autrement. Quoique ces raisons le plus souvent ne puissent point nous être connues (§§44, 196).

33[1]. Il y a aussi deux sortes de vérités, celles de Raisonnement et celles de Fait. Les vérités de Raisonnement sont nécessaires, et leur opposé est impossible, et celles de Fait sont contingentes, et leur opposé est possible. Quand une vérité est nécessaire, on peut en trouver la raison par l’analyse, la résolvant en idées et en vérités plus simples jusqu’à ce qu’on vienne aux primitives (§§170, 174, 189, 280-282, 367 ; Abr., obj. 3).

34. C’est ainsi que chez les Mathématiciens, les Théorèmes de spéculation et les Canons de pratique sont réduits par l’analyse aux Définitions, Axiomes et Demandes.

35[2]. Et il y a enfin des idées simples dont on ne saurait donner la définition ; il y a aussi des Axiomes et Demandes,

  1. Celles de raisonnement et celles de fait. — Les vérités de fait expriment la réalité actuelle des choses ; celles de raisonnement, leur éternelle possibilité. Les premières ne peuvent donc être établies par le raisonnement qu’autant que le raisonnement trouve sa vérification dans l’expérience. Elles ne sont pas au fond, d’autre nature, car, qui dit réalité, dit nécessairement possibilité. « Dans la région des vérités éternelles se trouvent tous les possibles et par conséquent tant le régulier que l’irrégulier : il faut qu’il y ait une raison qui ait fait préférer l’ordre et le régulier, et cette raison ne peut être trouvée que dans l’entendement. De plus, ces vérités mêmes ne sont pas sans qu’il y ait un entendement qui en prenne connaissance, car elles ne subsisteraient point, s’il n’y avait un entendement divin où elles se trouvent réalisées pour ainsi dire. » (Théod. §189.) Ailleurs il explique sa pensée par un exemple : « On peut dire de M. Bayle : Ubi bene nemo melius quoiqu’on ne puisse pas dire de lui ce qu’on disait d’Origène : Ubi male nemo pejus… Cependant M. Bayle gâte un peu ce qu’il a dit avec tant de raison : Or quelle contradiction y aurait-il à ce que Spinoza fût mort à Leyde ? La nature aurait-elle été moins parfaite, moins sage, moins puissante ? — Il confond ici ce qui est impossible parce qu’il implique contradiction, avec ce qui ne saurait arriver parce qu’il n’est pas propre à être choisi. Il est vrai qu’il n’y aurait point eu de contradiction dans la supposition que Spinoza fût mort à Leyde, et non pas à La Haye ; il n’y avait rien de si possible : la chose était donc indifférente par rapport à la puissance de Dieu. Mais il ne faut pas s’imaginer qu’aucun événement, quelque petit qu’il soit, puisse être conçu comme indiffèrent par rapport à sa sagesse et à sa bonté. » (Théod., §174.) Ainsi nous sommes forcés de contrôler nos raisonnements par les faits, parce qu’il nous est impossible de connaître toutes les raisons des faits : une intelligence capable d’embrasser toutes ces raisons intuitivement ou de les enchaîner déductivement, en les rattachant les unes aux autres, serait par là même affranchie de la nécessité de l’expérience.
  2. Il y a des idées simples dont on ne saurait donner la définition, parce que définir c’est faire connaître une idée par l’énumération des éléments qu’elle contient. — Parmi les idées appelées simples, les unes le sont en réalité, les autres seulement en apparence et par suite de l’impuissance du langage et de nos sens qui sont des instruments d’analyse et d’abstractions. Les idées vraiment simples sont les idées d’être, d’un, d’identique, etc. Si on pouvait les désigner par des signes simples comme elles, en désignant les idées complexes par les mots formés des signes qui correspondent à leurs éléments, on aurait une langue ou caractéristique universelle. — Quant aux idées qui ne sont