Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/7

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

répétions à leur endroit le mot de Socrate : « Que de choses ce jeune homme me fait dire auxquelles je n’ai jamais pensé ! » Car Leibniz, heureusement pour nos modernes accoucheurs d’esprits, a pensé à tout et, avec l’art de solliciter doucement les textes, il n’est rien qu’on ne trouve dans ses œuvres. « Je m’engage, disait Montesquieu, à trouver dans Cardan les pensées de quelque auteur que ce soit. » Loin de nous, par conséquent, l’intention de critiquer les diverses interprétations et les différentes reconstitutions de la pensée leibnizienne : nous les tenons toutes pour parfaitement exactes bien qu’elles ne se ressemblent pas toujours. À supposer que ces expositions du système de Leibniz soient quelquefois de belles infidèles, nous ne les admirerions guère moins puisqu’elles témoignent d’une rare vigueur philosophique.

Mais pourquoi ne pas s’effacer discrètement devant le philosophe lui-même ? Pourquoi ne pas avouer les difficultés qu’on éprouve parfois à concilier des textes inconciliables ? La poésie est plus vraie que l’histoire, Aristote l’a dit et il faut le croire, mais un système philosophique n’est pas une vérité, c’est une réalité qu’il faut prendre comme elle est. Reconstituer le système de Leibniz, c’est une belle entreprise : je connais des philosophes capables de la mener à bonne fin, mais Leibniz lui-même n’eût pu, je crois, s’en tirer avec honneur et une foule de textes l’eussent embarrassé et arrêté. On ne pense pas, on n’écrit pas soixante-dix ans et sur tous sujets, sans se contredire parfois, surtout si en même temps que philosophe on est homme du monde et, par conséquent, assez porté à modifier son dogmatisme selon l’interlocuteur, cartésien, scolastique, littérateur, mathématicien. Les antagonismes de la surface ne recouvrent pas toujours le calme et l’immobilité des eaux profondes. Tant pis pour la belle ordonnance des expositions systématiques, il faut se résigner, surtout dans un système dont l’évolution universelle est pour ainsi dire l’âme et la vie, à commenter les textes séparément. On demande à nos candidats de bien comprendre le premier livre des Nouveaux Essais et la Monadologie, pourquoi leur imposer par surcroît l’étude indirecte de tous les autres ouvrages de Leibniz ?

Comment voulez-vous que de jeunes esprits, si ouverts qu’ils soient, puissent retrouver dans les quelques textes qu’ils ont à lire et à expliquer toutes les théories que vous exposez dans vos savantes introductions ? Les voilà donc obligés, chose grave, de jurer sur la parole de l’éditeur, et cela, à propos des