Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/77

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autrement. Parce que Dieu en réglant le tout a eu égard à chaque partie et particulièrement à chaque Monade ; dont la nature étant représentative, rien ne la saurait borner à ne représenter qu’une partie des choses ; quoiqu’il soit vrai que cette représentation n’est que confuse dans le détail de tout l’Univers, et ne peut être distincte que dans une petite partie des choses, c’est-à-dire, dans celles qui sont ou les plus prochaines, ou les plus grandes par rapport à chacune des Monades ; autrement chaque Monade serait une divinité. Ce n’est pas dans l’objet, mais dans la modification de la connaissance de l’objet, que les Monades sont bornées. Elles vont toutes confusément à l’infini, au tout, mais elles sont limitées et distinguées par les degrés des perceptions distinctes.

61[1]. Et les composés symbolisent en cela avec les simples.


    Elles vont toutes confusément à l’infini. — Elles représentent tout l’univers, et l’embrassent, dans son infinité, par leurs pensées confuses ; elles composent une hiérarchie où la règle de l’analogie est toujours, et partout, observée. La monade la plus simple exprime l’univers, tout comme la monade humaine et la monade divine : c’est un infini en puissance. Toutes les monades sont en marche vers l’infini. L’univers tout entier se rapproche ainsi sans cesse de l’infini et du parfait, que pourtant il n’atteindra jamais. C’est en cela que consiste l’optimum, non dans un état passager, transitoire, essentiellement imparfait. L’optimum, le meilleur des mondes, c’est la somme d’une série indéfinie, dont les différents états de l’univers progressif forment les différents termes. Supposez le monde le plus parfait que vous voudrez, s’il est stable et permanent dans cette perfection relative, ce n’est pas le meilleur des mondes. En effet, les premiers termes de la série des progrès successifs ne sont pas des quantités négligeables : ils entrent pour quelque chose dans le total. Éliminez-les sous prétexte de rendre le monde plus parfait, et vous le rendez effectivement moins parfait, en diminuant la somme des termes de la série. On pourrait donner une forme concrète et grossière à cette théorie, en disant qu’il y plus de réalité dans l’œuf que dans la poule, car il y a la poule qui doit en sortir avec une partie de la substance de l’œuf en plus. De même le chêne enveloppe tous les chênes issus de lui, mais le gland dont il est sorti l’enveloppait lui-même, et enveloppait avec lui la même série de chênes et de forêts. Voilà pourquoi les monades les plus humbles sont aussi nécessaires à la perfection du monde, que les plus parfaites. On peut encore raisonner d’une autre manière : supprimer une de ces monades inférieures, c’est supprimer le monde lui-même, en tant que représenté dans cette monade. Or, ces représentations constituent une multiplication indéfinie de l’univers, et si, par hypothèse, vous supprimez toutes ces représentations, l’univers tout entier serait relégué dans le monde des possibles, dont la création des monades l’a fait sortir. Il n’est donc pas moins intéressé à la conservation d’une seule monade, fût-elle la plus humble de toutes, que la monade isolée n’est intéressée à la conservation du monde : Toutes pour une, et une pour toutes, c’est la formule des monades.

  1. Les composés symbolisent en cela avec les simples. — La note précédente explique le sens de cet accord, de cette conformité, de cette ressemblance et de cette correspondance. Les composés sont les phénomènes : eux aussi expriment à leur manière l’accord des monades, et manifestent leur harmonie. C’est en se plaçant au point de vue purement scientifique, en parlant, par con-