Page:Lemaître - Corneille et la Poétique d’Aristote, 1888.djvu/32

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des exigences incroyables. Dans Pertharite, Edwige dit à Garibalde :

L’amant est trop payé quand son service oblige…
Le véritable amour jamais n’est mercenaire ;
Il n’est jamais souillé de l’espoir du salaire…
Faites-moi triompher au hasard de vous nuire…
Vous m’aurez faite heureuse, et c’est assez pour vous.

Voyez encore, dans Suréna, Tite et Bérénice, Othon, l’étrange conduite d’Eurydice, de Bérénice et de Camille.

C’est que Corneille, comme nous l’avons vu, estime l’amour trop peu « noble » et trop peu « mâle » pour la tragédie. Comme s’il n’y avait de tragique que ce qui est mâle et noble ! « La perte d’une maîtresse » lui semble un malheur médiocre. Mais si elle est éperdument aimée, il n’est pas de pire malheur ! Je n’en veux pour témoin que le Cid. — Hélas ! Corneille oublie Rodrigue et Chimène ; Corneille en vient à dédaigner l’amour. Il ne considère comme « grandes, nobles et dignes de la tragédie » que les passions qui entraînent des événements considérables et des bouleversements publics. J’oserais presque dire que l’ambition politique lui semble une passion plus « noble » que l’amour, parce qu’un royaume est plus grand qu’une femme. 11 finit par se faire de la grandeur une idée toute matérielle et quelque peu puérile. Ce qui est tragique à ses yeux n’est pas ce qui émeut, mais ce qui étonne. La passion la plus belle n’est pas pour lui celle qui a le plus de violence intime, mais celle