Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/162

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maient et le respectaient, mais en s’amusant de lui imperceptiblement. Et Jean-Jacques en a conclu qu’ils étaient des hypocrites, et qu’ils le haïssaient, et qu’ils conspiraient contre lui. Au fond, il se reconnaît avec complaisance dans Alceste. Or, qu’Alceste soit ridicule, et par conséquent Jean-Jacques, Jean-Jacques n’admet pas ça. Ou, si cela est, c’est donc que le siècle est bien infâme.

Notons ici un assez curieux exemple de la diversité des jugements humains. Rousseau a fait au théâtre de Molière à peu près le même reproche d’immoralité que, de nos jours, Brunetière (et aussi Faguet, et avant eux Louis Veuillot) : mais pour des raisons si différentes, — du moins verbalement !

Molière paraît condamnable à Rousseau, parce qu’il a eu pour idéal, dans son théâtre, l’homme de société. Mais, au contraire, Molière inquiète Brunetière parce qu’il a été le disciple de la nature. En sorte qu’on ne sait pas s’il faut reprocher à Molière d’avoir adoré la nature ou de l’avoir dédaignée. C’est apparemment que la « nature » n’est pas tout à fait la même chose pour Jean-Jacques et pour notre contemporain. Toute bonne pour l’un, elle ne vaut pas le diable, ou plutôt elle est le diable, pour l’autre… Ô nature, qu’es-tu donc ? Nous voudrions bien le savoir. Mais si tu es tout, comme il est probable, nous n’en serons pas plus avancés. En tout cas Rousseau, qui a tant