Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/202

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la nature. Quand ces tristes plaisirs n’auraient que de n’être pas partagés, c’en serait assez, disions-nous, pour les rendre insipides et méprisables… Malheureux ! de quoi jouis-tu quand tu es seul à jouir ! Ces voluptés solitaires sont des voluptés mortes.

Cela est vraiment extraordinaire sous la plume d’une jeune fille de dix-huit ans ![1]

Mais là encore elle est bien à l’image de son père. L’impudeur de Julie nous fait ressouvenir que celui qui la fait parler n’est venu qu’après de longues souillures à l’amour normal et qu’il l’a connu pour la première fois dans des conditions tranquillement cyniques et avec une femme pour qui l’amour n’était qu’un geste comme un autre.

3º Enfin, dans les deux premières parties de la Julie, plus que partout ailleurs, c’est l’affreux épanouissement de l’abominable style des « hommes sensibles ». Ce style implique cette convention, que toujours, partout, en toute occasion, les sentiments naturels, affections de famille, tendresse maternelle, paternelle, filiale, conjugale, amour, amitié, pitié, humanité ne peuvent être éprouvés qu’avec une extrême intensité, ni exprimés que dans le style le plus noble, le plus solennel, le plus emphatique, coupé quelquefois d’exclamations, d’apostrophes, de suspensions, de frémissements, de silences… Ce style, à vrai dire, préexistait à

  1. Voir aussi la lettre où Saint-Preux raconte à Julie qu’il a été entraîné chez les filles, et la réponse de Julie.